Un rapport produit par des experts de la biodiversité alerte sur une extinction mondiale des insectes : près de la moitié des espèces est en déclin rapide. De nombreuses autres sont menacées d’extinction. A travers cette interview, Dr Germain Gil Padonou, entomologiste explique les causes de ce déclin. L’enseignant-chercheur à l’Université d’Abomey-Calavi dévoile aussi l’importance des insectes pour la biodiversité.
Dr Padonou, comment expliquez-vous ce déclin des insectes ?
Cela pourrait se justifier par plusieurs raisons. Il y a d’abord la forte urbanisation dû à la déforestation parce que pour construire les infrastructures, il faut dégager la végétation. Mais il se fait que ces milieux naturels que nous dégradons sont des niches écologiques. Ce sont des endroits où les insectes se développent, s’accouplent et se reproduisent. En détruisant ces milieux, ils n’ont plus un autre endroit où rester. De plus en plus, nous avons constaté qu’il y a un réchauffement climatique global qui contribue aussi à cela. Il n’y a pas que les insectes qui soient en déclin. D’autres animaux, tels que les mammifères, les reptiles sont aussi en voie de disparition. Tous les animaux n’arrivent pas à supporter la même température. Certains sont adaptés aux régions froides et d’autres aux régions chaudes. Quand le milieu est dégradé et que les conditions climatiques aussi ne sont plus favorables, il va de soi que ces espèces ne trouvent plus des conditions idéales pour survivre.
L’utilisation abusive des insecticides n’en est-il pas pour quelque chose ?
On peut parler des insecticides. Mais ils sont utilisés généralement pour contrôler. Ce n’est pas pour faire disparaître l’insecte. Par exemple, dans le domaine de l’entomologie du paludisme où j’interviens, quand vous avez des moustiques autour de vous et qui vous rendent malades, par rapport à une vie humaine que vous devez sauvegarder en pulvérisant des insecticides, ça ne favorise pas leur élimination de leur environnement. Je crois qu’il est mieux d’utiliser l’insecticide pour éliminer ces vecteurs. A des moments, on n’a pas d’autre choix.
Ce ne sont que des insectes. Pourtant, la communauté scientifique internationale craint pour leur disparition. En quoi ces bestioles sont-ils si important ?
Les insectes sont importants dans plusieurs domaines de la vie. Dans le domaine alimentaire, les insectes peuvent remplacer valablement les viandes et poissons que nous importons. Ce sont des sources très riches en protéines. Ce sont des protéines de qualité en plus. Le Bénin est reconnu comme l’un des pays du monde où l’on consomme des insectes. Il y a le grillon qui est consommé. Il y a des larves aussi qui sont consommés. Les insectes sont aussi importants pour la pollinisation. C’est pour ça qu’on disait que le jour où il n’y aurait plus d’insectes, c’est possible qu’il n’y ait plus de vie. Sans insectes, il ne peut pas y avoir pollinisation.
Les insectes sont les acteurs majeurs de la pollinisation. C’est vrai qu’il y a d’autres facteurs dont le vent qui interviennent. Mais les insectes jouent un très grand rôle dans la pollinisation des fleurs. Pas d’insectes, pas de végétaux. Nous n’aurons non plus le miel que nous apprécions tous à cause de sa qualité nutritionnelle. On peut utiliser les insectes en aviculture, c’est-à-dire on les élève, on produit des larves et on les donne à manger aux poussins pour les développer. Ce sont des sources de protéines pour ces animaux. On peut utiliser cela aussi en pisciculture pour l ‘élevage des poissons.
Mais dans le même temps, d’autres insectes sont nuisibles à l’homme et détruisent les cultures. Faut-il alors lutter contre les insectes ou les sauvegarder ?
Il faut plutôt les contrôler. On maintient la population à un seuil qui ne serait pas économiquement dommageable. Mais l’insecte va vivre dans le milieu en harmonie avec nous. N’oublions pas que nous chassons les insectes de leur milieu naturel pour mettre en place un nouvel agrosystème comme un champ de maïs. L’animal vivait là, vous voulez qu’il aille vivre où ? Donc il reste dans le milieu. En ce moment il n’y a que le maïs, s’il ne se nourrit que de feuilles, il va donc détruire votre champ de maïs à la place d’autres plantes dont il se nourrissait.
Les ressources naturelles végétales que cet insecte avait à sa disposition ne sont plus là. L’une des erreurs que nous faisons, c’est de remplacer les espèces végétales par d’autres sans savoir l’impact que cela pourrait avoir sur les végétaux dans l’environnement. Ce nouveau végétal que nous avions mis dans le milieu pourrait conduire à une augmentation rapide de la population des insectes. Les insectes vont croitre de façon exponentielle et conduire à un désastre dans le milieu.
Selon une étude dont vous êtes auteur, les insectes peuvent contribuer à élucider les crimes. Comment est-ce possible ?
Cela a été prouvé dans plusieurs pays du monde. Les pays européens, les Etats-Unis ont été les premiers qui ont travaillé sur les cadavres des humains. Au Bénin nous avions aussi commencé il y a quelques années l’entomologie florensique. Nous l’appliquons sur les carcasses d’animaux par exemple le lapin. On provoque le décès de ses animaux, on les utilise pour des expériences au laboratoire. On laisse les insectes venir les colonisés. En fait quand un individu meurt et que le corps est en décomposition et l’on veut faire des enquêtes pour élucider certains crime, la police scientifique et technique a besoin d’un certain nombre d’informations. Les insectes peuvent les aider à retrouver ces informations.
Quel genre d’information ?
Quand l’individu meurt et que le corps est encore en bon état, ce sont les médecins légistes qui sont appelés pour aider la police à connaitre la date du décès. Après trois jours, le corps entre déjà en décomposition. Les premiers insectes qui viennent coloniser le corps, ce sont les diptères. Ces insectes déposent leurs œufs et en fonction des stades de développement de ceux-ci, on peut déterminer la date de décès.
En votre qualité de membre de la société béninoise d’entomologie, que faites-vous pour protéger les insectes ?
Nous le faisons dans le cadre de diverses activités de lutte contre la déforestation organisées soit avec nos étudiants, soit lors des formations que nous leur donnons. On essaie d’insister sur le comportement à avoir.
Propos recueillis par Fulbert ADJIMEHOSSOU